Ma langue étrangère

Martin Talbot, éditions Stanké, 2023, 162 pages.

Note : 3.5 sur 5.

Il doit se faire amputer la langue. Il a donc besoin de quelqu’un qui prendra la parole pour lui. C’est ainsi que commence ce roman étrange où la langue (l’organe) et la langue (le système) ne font qu’un.

Je qualifie ce roman d’étrange, car il est déroutant. À l’image de la première de couverture qui nous dévoile un flux de lignes abstraites parsemé de signes, on plonge ici dans une quête à la fois personnelle et presque organique. Le protagoniste et narrateur cherche à garder en vie sa parole, tout en espérant retrouver sa langue (l’organe) qu’il a perdue à cause de ceux qui ne parlent pas le même système que lui.

« Un X dans une case pour « Homme », un autre pour « de race blanche », un autre encore pour « célibataire », un X pour indiquer ma langue parlée. Un X pour définir ma génération, celle des gens nés entre 1961 et 1981. Un X anonyme, désillusionné et frustré, qui crie à l’injustice dans un micro X depuis des années, pour pointer les responsables. Les étrangers. »

Ma langue étrangère, p.28

On fait d’abord face à un personnage véhément qui accorde peu de respect à l’Autre, qui voit en lui les causes de ses tourments. Rapidement toutefois, il se rend compte que sa langue (l’organe), vit peut-être avec les conséquences de ses paroles. Certes, j’ai trouvé que le personnage changeait rapidement, voire facilement d’opinion, mais le parallèle est intéressant.

Par le truchement de sa nouvelle langue, l’homme se voit balancé dans une réalité qui correspond à celle de l’Autre. Le roman met donc un bel accent (le jeu de mots est involontaire) sur l’empathie, éloignant le protagoniste de son narcissisme.

Bref, même si les premières réflexions du narrateur sont acrimonieuses et qu’elles m’ont menée à le détester (si vous m’aviez vu froncer les sourcils à lire ses opinions d’homme blanc privilégié!), son évolution est intéressante, mais les réflexions sur la langue (le système) le sont encore plus!

« Pour retenir ma langue, je cherche un sens à ce que je dis. Je me retrouve pourtant, au hasard de mon nouveau discours, à répéter des expressions sans queue ni tête. Pourquoi remercier un employé licencié? Comment dormir sur ses deux oreilles à la fois? Pourquoi appeler « feu » quelqu’un qui s’est éteint? Aller aux quatre coins du monde sur une sphère, comment faire? »

Ma langue étrangère, p.136

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