La réalité des enseignant.es de français du réseau public au Québec (partie 2 : aide aux élèves)

Dans la première partie de ce portrait étaient présentés les résultats concernant les conditions matérielles d’un.e enseignant.e de français au secondaire du réseau public québécois. Dans cet article, je vous présente les résultats en lien avec l’aide aux élèves ainsi que la motivation actuelle de ceux-ci.
Portrait des répondant.es
Un total de 290 personnes ont répondu au sondage qui a été réalisé en février 2025. 24,1 % des répondant.es proviennent de Montréal, 11,7 % de la Montérégie, 9 % de Québec, 8,3 % de l’Estrie et 7,6 % de Lanaudière. Les autres répondant.es proviennent de régions moins urbaines comme la Gaspésie, l’Abitibi ou le Saguenay.

Les ressources informatiques
Dans la première partie du portrait étaient brièvement présentées les problématiques avec les ressources informatiques que vivent plusieurs enseignant.es. Cela dit, ces ressources ne sont pas exemptes de problèmes pour les élèves.
Pour mettre en contexte celles et ceux qui ne font pas partie du domaine de l’enseignement, il faut savoir que dans le plan d’intervention de certain.es élèves, on demande à ce que le ou la jeune ait accès à un ordinateur pour écrire ses textes. Cet ordinateur doit généralement venir avec un logiciel de prédicteur de mots (WordQ par exemple) et, à d’autres occasions, avec un logiciel de correction tel qu’Antidote. Cette aide technologique vise à soutenir l’élève dans son écriture et, parfois, dans sa lecture. Ce ne sont pas tous les jeunes qui ont droit à cette mesure. On pourrait croire que, comme c’est inscrit dans un plan d’intervention, tout ira bien. Hélas, ce n’est pas toujours le cas.
Des enseignant.es mentionnent qu’il n’y a pas suffisamment de trousses fournies pour les élèves qui ont cette mesure à leur plan d’intervention, d’autres que ces portables sont désuets et vivent fréquemment des bogues. Il est aussi parfois ardu d’avoir accès aux versions numériques des livres à l’étude pour ces élèves qui en ont besoin. Il n’est donc pas automatique qu’un élève ayant droit à une mesure technologique y aura accès sans problème.

De plus, il est à noter que l’aide offerte à ces élèves n’est pas toujours adéquate. Certes, chez 77,2 % des répondant.es, il y a un.e orthopédagogue disponible à l’école. Et dans 45,2 % des cas, c’est cet.te orthopédagogue qui est en charge de l’aide aux élèves ayant une mesure d’aide technologique. Pour 25,9 % des répondant.es, c’est un.e enseignant.e-ressource qui est responsable de ces élèves. Toutefois, dans près de 10 % des cas, ce sont les enseignant.es qui s’occupent de leurs propres élèves ayant une mesure d’aide technologique. Cela suppose d’avoir à gérer les bogues, d’avoir à aider les élèves à utiliser adéquatement leurs outils. C’est une tâche supplémentaire qui s’ajoute dans un horaire déjà bien chargé.
L’orthopédagogue n’a pas réussi à aller dans les classes soutien avant la fin octobre puisque les demandes sont trop nombreuses. Des élèves ont obtenu leur ordinateur portable à la 3e semaine de novembre, soit après la 1re étape. On manque de bras et de ressources. C’est la même réalité pour les TES et les autres intervenants. Ça déborde de partout.
L’enseignement ressource
Dans plusieurs milieux, des élèves peuvent bénéficier d’aide supplémentaire grâce à un.e enseignant.e-ressource (ER). Cette personne se voit enlever un ou des groupes dans son horaire afin d’avoir des périodes de ressource à sa tâche. Pendant ces périodes, l’enseignant.e peut aller en classe pour aider directement ou sortir des élèves pour faire un enseignement plus individualisé. On pourrait croire que c’est une aide facilement accessible, mais non.
La pénurie de personnel fait en sorte que nous avons perdu tout l’enseignement ressource et en plus, nous ne pouvons pas ajouter du temps d’orthopédagogie sans couper dans un autre service professionnel pour balancer. Bref, ce sont les élèves que ça pénalise…
Chez près de 18 % des répondant.es, il n’y a aucun service d’enseignement resssource en français. Les élèves en grandes difficultés sont donc uniquement suivi.es par leur enseignant.e. Certaines personnes se diront probablement que c’est le travail de l’enseignant.e d’aider ses élèves, mais face à 30 élèves qui ne sont pas au même niveau, il est impossible de répondre aux besoins de tout le monde à l’intérieur d’un cours.
Même avec le service d’enseignement ressource, la situation n’est pas nécessairement plus simple. On mentionne notamment :
- Une incompatibilité dans les horaires (par exemple, les périodes de disponibilité de l’ER ne concordent pas avec les besoins des autres enseignant.es)
- Un manque de temps pour voir tous les élèves en difficulté (par exemple, un.e ER qui va deux fois par 9 jours dans un groupe)
- Une absence de ressource au 2e cycle du secondaire
- Un manque d’organisation de la ressource (par exemple, un.e ER qui doit jongler avec trois ou quatre groupes à aider, la majorité des ressources qui sont concentrées en math ou en science)
La pénurie d’enseignant.es crée aussi des problématiques de ce côté. Par exemple, un.e répondant.e mentionne que les ER peuvent être libéré.es seulement s’il y a des enseignant.es légalement qualifié.es disponibles. Or, ce n’est pas le cas. De plus,
Les enseignants ressource sont très sollicités pour faire de la suppléance, car il manque beaucoup de profs à notre école. Nous faisons donc de la suppléance « obligatoire »…
Et quand ça va bien, ce n’est pas officiel que ça restera…
Nous avons toujours eu une superbe équipe d’enseignants-ressource. Malheureusement, c’est dans ce secteur que notre nouvelle direction veut mettre la hache l’an prochain parce que ça coûte trop cher.
Qu’en est-il des élèves?
Les élèves en français ont des lacunes de plus en plus grandes. Les ressources sont insuffisantes. En même temps, est-ce la solution? Présentement, le quart de mes élèves sont en échec en 5e secondaire…
Si on a besoin d’autant d’aide, est-ce parce que les élèves sont plus en difficulté qu’avant? C’est ce que semble souligner la majorité des répondant.es.

On parle
- de difficultés majeures, d’élèves qui ne sont pas au niveau où ils sont rendus dans leur parcours ;
Je me retrouve en secondaire 1 avec des jeunes qui ne s’investissent plus et des groupes avec un retard terrible. (certains sont des 3-4e années dans leurs apprentissages, mais ils ont l’âge d’être en secondaire 1)
- d’un nombre accru d’erreurs dans les textes, d’une absence de compréhension en lecture.
Mes élèves lisent BEAUCOUP plus que ceux d’il y a 15 ans… mais ne comprennent pas ce qu’ils lisent. Même chose pour l’écriture. J’ai beaucoup d’élèves qui adorent écrire, mais leurs textes n’ont pas de structures et sont bourrés de fautes.
On souligne aussi l’écart grandissant entre les élèves.
L’écart entre les élèves faibles et forts s’agrandit. Les faibles sont plus faibles qu’avant. Les élèves moyens, plus rares.
La rapidité des élèves à exécuter une tâche aussi semble s’être effritée.
Avant, ils pouvaient rédiger les versions provisoire et définitive de 300 mots en trois cours. Maintenant, ils prennent 5 à 7 cours.
Est-ce que la baisse de motivation et d’engagement pourrait être un des nœuds du problème? Comment aller chercher ces deux éléments chez les élèves?

Les enseignant.es d’aujourd’hui, comme les enseignant.es d’hier, sont passionné.es par leur profession. Ils et elles s’impliquent, cherchent à s’améliorer et à se perfectionner. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette aussi grande baisse de motivation et d’engagement perçue chez les élèves aujourd’hui? C’est une question à laquelle je n’ai malheureusement pas la réponse. On peut souligner la COVID, l’omniprésence des écrans, mais rien n’est certain.
Je constate une démotivation importante depuis la pandémie. Beaucoup d’absentéisme scolaire, de travaux non faits…
Est-ce que trop d’élèves passent au niveau suivant sans avoir suffisamment d’acquis?
Plusieurs élèves arrivent en 5e secondaire avec des échecs (ou des 60 bien ronds) en français depuis la 4e année…
La motivation intrinsèque semble beaucoup moins présente. Seuls les résultats semblent importants. Apprendre pour le plaisir? Bof…
Certains élèves travaillent pour avoir une note et ne sont pas intéressés à mettre des efforts si ce n’est pas évalué. Ils n’en voient pas la pertinence, même si on passe du temps à expliquer les intentions pédagogiques derrière chaque activité. Ils sont fatigués et démotivés.
Quelles seraient les solutions?
Certes, on souligne l’investissement financier, mais comment cette aide aurait-elle un impact? Que permettrait-elle?
- Des groupes moins nombreux (dans un groupe en difficulté, la différence entre 24 et 32 élèves est énorme!)
- Du co-enseignement
- Plus d’enseignement ressource
- Un meilleur soutien aux élèves bénéficiant d’une mesure d’aide technologique
Bien entendu, tout cela nécessite aussi une revalorisation de la profession enseignante afin que le milieu ne soit pas déserté par les gens passionné.es. C’est une roue qui tourne, finalement! Tant que les conditions ne sont pas adéquates, les gens ne veulent pas embarquer dans le bateau (ou finissent par le quitter). Et tant qu’il manquera de gens, les conditions ne seront pas adéquates. Par où commencer? Réaliser tous les impacts du sous-financement de l’éducation publique est un bon point de départ…