La réalité des enseignant.es de français du réseau public au Québec (partie 3 : composition des classes)

Il me semble impossible de parler de la réalités des enseignant.es sans aborder la composition des classes. C’est face à une classe qu’un.e enseignant.e passe ses journées. C’est face à un groupe hétérogène qu’il ou elle doit agir afin de transmettre son amour de la langue française. De quoi ont l’air ces classes?
Portrait des répondant.es
Ce sont 154 personnes enseignantes de français du réseau public au Québec qui ont répondu au sondage que j’ai lancé sur les groupes d’enseignement du français. Les questions concernaient les deux dernières années d’enseignement afin de refléter un portrait le plus actuel possible.
L’enseignement est réparti en quasi égalité entre les premier et deuxième cycles du secondaire.

90,9 % des personnes répondantes ont enseigné, dans les deux dernières années, à des élèves du régulier. Dans près de 67 % des cas, les classes sont fermées, c’est-à-dire que les élèves du régulier ne sont pas mélangé.es aux élèves de vocation dans leur cours de français.

Quand on parle d’école à trois vitesses, c’est ce à quoi on fait référence. Certes, il y a la division public-privé, mais au sein même des écoles publiques, il y a une séparation entre les élèves du régulier (qui n’ont donc aucune modification à leur horaire, aucun parcours spécialisé dans un domaine comme les arts, le sport, les sciences) et les élèves de vocation. Dans plusieurs cas, pour être en vocation, cela prend une certaine moyenne et un investissement monétaire des parents. Évidemment, la présence dans un tel parcours augmente la motivation scolaire.
Quels profils ont les élèves de vocation et du régulier?
Que ce soit au régulier ou en vocation, il y a une diversité d’élèves. Selon les personnes répondantes qui enseignent à des élèves de vocation,
- 97,3 % ont enseigné à des élèves dyslexiques/dysorthographiques
- 90,7 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble déficitaire de l’attention (avec ou sans hyperactivité)
- 64 % ont enseigné à des élèves autistes
- 58,7 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble du comportement
- 48 % ont enseigné à des élèves dyspraxiques
- 25,3 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble de l’audition
- 13,3 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble de la vue
- 5 % ont enseigné à des élèves qui sortent de l’accueil et qui ont un bulletin modifié vu qu’ils et elles sont encore en apprentissage de la langue française
Il va sans dire, même en vocation, il peut y avoir des élèves nécessitant des adaptations ou de la flexibilité dans les interventions. Au régulier, on peut constater que les chiffres sont plus élevés.
- 100 % ont enseigné à des élèves dyslexiques/dysorthographiques
- 97,1 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble déficitaire de l’attention (avec ou sans hyperactivité)
- 84,3 % ont enseigné à des élèves autistes
- 89,3 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble du comportement
- 69,3 % ont enseigné à des élèves dyspraxiques
- 38,6 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble de l’audition
- 25,7 % ont enseigné à des élèves ayant un trouble de la vue
- 18,5 % ont enseigné à des élèves qui sortent de l’accueil et qui ont un bulletin modifié vu qu’ils et elles sont encore en apprentissage de la langue française
Certes, un.e enseignant.e doit tenir compte de l’hétérogénéité de son groupe-classe. Cela fait partie de ses compétences. Mais est-ce toujours facile quand on constate l’ampleur de cette diversité? Je vous laisse deviner la réponse.
On ne peut pas répondre aux besoins de tous nos élèves. Par exemple, c’est difficile d’appliquer tous les moyens d’adaptation quand tu as 18 plans d’intervention dans un seul groupe. Aussi, on passe beaucoup de temps avec nos élèves en difficulté, ce qui fait nos plus forts sont négligés et laisser davantage à eux-mêmes.
Ces chiffres ne soulignent pas la présence d’élèves à haut potentiel intellectuel, d’élèves ayant un trouble anxieux ou dépressif, d’élèves ayant le syndrome Gilles de La Tourette, et j’en passe. Quand on parle de classes hétérogènes, c’est le cas!
Les deux profils d’élèves auxquels les enseignantes et les enseignants répondants ont le plus enseigné sont les élèves ayant un trouble déficitaire de l’attention et les élèves dyslexiques/dysorthographiques. Environ 29 % ont enseigné, dans les deux dernières années à plus de 10 élèves ayant un TDA/H ou une dyslexie/dysorthographie.
D’ailleurs, on constate qu’il y a généralement 4 élèves ou plus qui ont besoin d’un ordinateur dans chaque classe. C’est beaucoup! Surtout si on se rappelle que l’aide offerte à ces élèves n’est pas toujours présente et que brancher tous ces ordinateurs n’est pas une tâche facile.


J’ai 21 plans d’interventions différents sur 27 élèves dont 14 élèves outillés informatiquement. Parfois que pour la lecture avec au moins 2 outils, parfois seulement en écriture avec ou sans outils. C’est rendu trop difficile à gérer. Je suis en arrêt de travail pour surcharge à cause de cette composition qui s’est dégradée d’année en année. Cela fait 28 ans que j’enseigne et je ne sais pas si je vais finir mes 7 dernières saine et sauve.
Outre l’utilisation d’un ordinateur portable, il y a aussi les élèves qui ont droit à du tiers-temps, c’est-à-dire à un tiers du temps supplémentaire pour compléter leurs évaluations, les élèves qui devraient avoir quelqu’un pour leur lire les questions d’examen, les élèves à qui on suggère de faire leur évaluation dans un autre local (lequel???)…
Ce n’est pas normal qu’il y ait près de la moitié des élèves avec des plans d’intervention. Ce n’est pas normal que les médecins et autres professionnels de la santé donnent des diagnostiques et exigent des ordinateurs, du 1/3 temps, des locaux isolés… quand ils ne savent pas comment sont d’abord ces élèves, sans égard au fait que certains réussissent très bien. Nous n’avons pas de TES pour aider à gérer tous ces élèves… TSA ou TDAH qui n’ont pas pris leur médication…
On constate bien la diversité des élèves, mais il faut aussi considérer les difficultés des élèves. Environ 40 % des répondant.es mentionnent qu’en moyenne, au moins 5 élèves par classe sont en échec. C’est énorme! Comment peut-on soutenir efficacement ces élèves et viser la réussite pour tous et toutes?
Les classes sont-elles trop grosses?
Le nombre d’élèves par classe est souvent questionné. Certes, c’est balisé, au public, on doit respecter un nombre maximal d’élèves selon les conventions. Généralement, cela ressemble à 28 élèves au 1er cycle et à 32 au deuxième cycle. Cela n’empêche pas certains dépassements qui exigent alors un surplus sur le salaire des personnes enseignantes concernées. Il faut aussi savoir que certains profils d’élèves comptent pour plus d’un élève. Cela dit, plutôt rares sont les élèves qui ont une cote.
Selon la majorité des personnes répondantes, diminuer le nombre d’élèves par classe serait favorable.

On note divers avantages :
- Plus de temps à accorder à chaque élève
- Moins de temps alloué à la correction, donc rétroaction plus rapide (et donc plus efficace!)
- Meilleure connaissance des difficultés de chaque élève, donc meilleur soutien personnalisé
- Création d’un lien plus significatif avec les élèves
- Moins de gestion de classe
Le temps accordé à chaque élève est l’avantage qui revient le plus dans les commentaires. Cela n’est pas surprenant. Dans une période d’exercice ou d’écriture par exemple, il n’est pas rare de ne pas avoir le temps de répondre à toutes les questions des élèves.
Est-ce que des classes plus petits font toutefois des miracles? Malheureusement, non. Il y a plusieurs autres facteurs à prendre en compte.
Je suis très chanceuse d’avoir des petits groupes cette année (la direction a été obligée d’ouvrir un groupe supplémentaire sur mon niveau en début d’année. Donc, tous les groupes de mon niveau sont petits). Mais… Ça ne fait pas de miracle! Malgré tout, j’ai un groupe dont la moitié des élèves est présentement en échec.
Les classes sont-elles trop hétérogènes?
Selon les commentaires laissés par les enseignantes et enseignants, un des plus grands irritants dans la composition actuelle des classes est leur hétérogénéité. Certes, il y a des avantages à la mixité scolaire. Sur le terrain par contre, ce que vivent les enseignantes et enseignants ne semble pas que bénéfique.
On accorde moins de temps aux élèves sans diagnostic parce que les élèves à défis sont très demandants.
Conséquence?
devoir choisir qui on peut « sauver »
Est-ce que le fait d’avoir des classes moins grosses pourrait aider?
Les élèves forts sont souvent oubliés et les élèves en difficulté sont mal classés ou demande des interventions de deuxième niveau… qui sont inexistantes. On manque de bras et de temps pour tous, autant avec ceux en réussite que ceux en échec. On nous demande de différencier, mais nous avons des classes à 33 élèves, d’autres à 24; des classes à 3 PIA, d’autres à 14; des classes performantes, d’autres avec 10 doubleurs; et j’en passe. La différenciation pédagogique a ses limites quand les classes sont en surnombre et ce sont tous les élèves qui en paient le prix.
Les études offrent des solutions intéressantes à cette hétérogénéité. Mais dans la réalité, prévoir cette différenciation demande du TEMPS. Et en enseignement, je vais répéter ce qu’on n’arrête pas d’entendre, du temps, on en manque! On court après notre queue pour corriger les fins de semaine, planifier entre deux périodes, entre deux comités ou surveillances, sur notre heure du diner… Différencier sa planification, s’assurer que chaque élève a un travail à sa pointure et que chaque élève peut continuer d’avancer, c’est quasi impossible!
L’élimination des classes adaptées a mené à l’intégration massive de ces élèves qui n’ont pas nécessairement toutes les capacités pour réussir le programme tel qu’il est actuellement. Couplé à la quasi élimination du redoublement, cela entraîne une situation où une grande majorité des élèves ne font plus aucun effort en classe. La gestion de classe prend trop de place et la tâche est de plus en plus lourde, en plus de faire les suivis avec la direction et les parents, il faut aussi planifier des activités pédagogiques différenciées pour tenir compte des besoins de chacun. Et puisque les élèves « forts » sont peu nombreux, la correction est plus lourde et fastidieuse, en plus qu’il est difficile d’appliquer les fameuses méthodes pédagogiques dites « probantes » que nos directions nous poussent de plus en plus à adopter, car on ne peut se fier sur les pairs pour faire progresser les apprentissages.
Est-ce qu’on aide réellement les élèves dans les conditions actuelles (hétérogénéité des classes ordinaires, fermeture des classes d’adaptation scolaire…)? Poser la question, c’est y répondre.