Avoir une bibliothèque de classe : un fantasme?

Je me souviens encore des paroles d’Yves Nadon lorsque j’étais à l’université. Il mentionnait qu’une classe de français, comme une classe de sciences avec tout son matériel scientifique, devait respirer la langue, la littérature. Mais à quel point il est réaliste, dans les conditions actuelles, de posséder une bibliothèque de classe? De plus, est-ce réellement le souhait de toutes les personnes enseignantes? Pour mieux répondre à la question et tenter de faire un portrait plus global, j’ai demandé à des enseignantes et enseignants du Québec de répondre à un court sondage. Les commentaires entre guillemets sont des réponses écrites par les personnes répondantes.
Portrait des répondant.es
Un total de 150 personnes ont répondu à mon sondage que j’avais partagé sur les groupes Facebook d’enseignantes et d’enseignants du Québec, ainsi que sur ma page Instagram. Sur ces 150 personnes répondantes, 135 enseignent au secondaire, 13 au primaire et 2 à aucun de ces niveaux.
Les bibliothèques de classe au primaire
95,5 % des enseignant.es répondant.es du primaire possèdent une bibliothèque de classe. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que, toujours selon le sondage, la majorité des enseignant.es du primaire ont un budget de classe qui se situait en moyenne (avant les coupures) autour de 300 $. Une partie de ce budget peut donc être utilisé pour garnir sa bibliothèque de classe, ce que font près de 53 % des personnes répondantes. Pour celles et ceux qui n’utilisent pas leur budget de classe, 85,7 % la garnissent en se procurant les livres avec leur argent personnel. Puis, pour vous donner une idée, c’est 77,3 % des personnes répondantes qui ajoutent entre 1 et 20 livres dans leur bibliothèque chaque année. Considérant le prix de ceux-ci, c’est un grand investissement!
Les bibliothèques de classe au secondaire
Quand on passe au niveau du secondaire, c’est 88,9 % des personnes répondantes qui ont une bibliothèque de classe. Honnêtement, je m’attendais à un plus petit pourcentage. Il ne s’agit pas ici de résultats scientifiques. Les personnes qui ont répondu sont celles à qui le sujet parlait. Probablement que cela influence les résultats…
Toutefois, ici, plusieurs raisons sont soulevées pour expliquer pourquoi certain.es enseignant.es n’en possèdent pas (les personnes répondantes pouvaient cocher plus d’une réponse).
- Absence de budget (62,5 %)
- Bibliothèque d’école déjà existante, donc on en voit moins l’utilité (43,8 %)
- Plusieurs locaux pour donner ses cours (43,8 %)
- Manque d’espace dans les classes
- Trop de gestion
La donnée la plus marquante concerne la façon de se procurer les livres. Oui, 88,9 % des personnes répondantes affirment avoir une bibliothèque de classe, mais sur ces 115 personnes, 102 disent que la majorité des livres de leur bibliothèque sont achetés avec leur argent personnel puisqu’au secondaire, c’est une minorité (21 %) qui a un budget de classe, contrairement au primaire. C’est un investissement considérable quand on sait que ces livres peuvent être égarés et brisés (c’est ici mon expérience personnelle qui l’affirme!).
Alors, avoir une bibliothèque : nécessité ou petit plus?
Ces données sont bien intéressantes, mais qu’en est-il de l’opinion des enseignantes et enseignants sur les bibliothèques de classe au secondaire?

Décloisonner la lecture, ce n’est pas seulement à la bibliothèque ou avec des livres obligatoires.
Pourquoi?
- Intéresser les élèves à la lecture (et notamment favoriser cet accès pour les élèves issus de milieux plus défavorisés)
- Faciliter l’accès aux livres, entre autres pour celles et ceux qui ne vont jamais à la bibliothèque, mais aussi pour s’occuper lorsqu’un travail est terminé
- Faire des échanges informels sur la lecture
- Montrer aux élèves que c’est important
- Diversifier la culture littéraire des élèves
- Enseigner avec la littérature
- Exposer les élèves aux livres
- Conseiller les élèves
Cela permet aux élèves d’explorer différents romans sans être obligés de les lire complètement et sans le stress de remettre le livre en retard.
Cela dit, pour certain.es enseignant.es, il est surtout important de familiariser les élèves avec la bibliothèque scolaire ou municipale.
Nous avons une bibliothèque scolaire et des bibliothèques municipales bien fournies, où travaillent des expert.e.s qui savent guider les lecteur.rice.s et qui ont le temps et le budget de gérer les emprunts, les retours, les pertes et les acquisitions. Il me semble important d’encourager les jeunes à connaitre et à utiliser ces services et de ne pas travailler en double plutôt qu’en complémentarité.
Considérant qu’au secondaire, le budget de classe est majoritairement inexistant, je voulais aussi connaitre l’opinion des personnes répondantes sur l’investissement que devrait faire le gouvernement/les écoles sur les bibliothèques de classe.

À moins d’être influenceuse, personne, au secondaire, ne se fait offrir de livre ni de carte-cadeaux. C’est le privilège du primaire. Au secondaire, c’est à nous de nous arranger. Il en va de la possibilité d’avoir un seul local pour que cela fonctionne. Pire, j’ai des collègues qui partagent leurs locaux, souvent plus d’un, avec d’autres matières, cela devient impossible! On néglige l’importance d’avoir un local de français qui respire la culture au secondaire.
Ce qu’il est important de se rappeler aussi, c’est que le plaisir de la lecture diminue à l’adolescence, de même que le temps accordé à ce passe-temps, et pourtant, le budget d’achat pour les livres n’a été réservé que pour le primaire.
Ce qui revient beaucoup dans les commentaires, c’est que la bibliothèque de l’école est intimidante pour certains élèves qui ne savent pas se retrouver dans les suggestions. Ce n’est aussi pas nécessairement le premier endroit que les élèves visiteront dans leur temps libre, d’où l’importance d’avoir des suggestions pour elleux directement dans nos locaux.
Ce n’est pas normal d’avoir à débourser de notre poche pour faire ce que le ministère nous demande dans le fond, qui est de faire la promotion de la lecture.
Cependant, les explications vont aussi dans l’autre sens, mentionnant qu’on devrait prioriser d’autres investissements comme la bibliothèque scolaire ou les séries-classe.
En conclusion
Bien que les commentaires soient assez variés sur la question, le désir de donner de l’importance aux bibliothèques de classe au secondaire est bien présent selon les résultats du sondage. Je tiens toutefois à rappeler que ce sont probablement plus les personnes qui se sentent interpelées par le sujet qui ont pris le temps de répondre. Malgré tout, les commentaires sont intéressants et permettent de réfléchir à la question. Voici quelques commentaires intéressants pour clore cet article.
C’est super les bibliothèques de classe, mais je trouve que cette mode met un fardeau supplémentaire sur les enseignantes de français, tout comme les classes décorées comme un tableau Pinterest. Autant pour l’argent personnel à investir que pour la charge mentale ajoutée.
Imagine, les maisons d’édition pourraient utiliser les enseignants de français secondaire comme des «micro-influenceurs» et nous envoyer 1-2 livres par année, car notre classe EST un réseau social.
À notre école, il est très difficile d’avoir accès à du mobilier, mais surtout à du « beau » mobilier de qualité. On nous interdit d’apporter des meubles personnels, mais plusieurs enseignantes de français ont contourné la règle et ont acheté des bibliothèques tournantes, des présentoirs ou des supports aimantés pour disposer des romans de manière originale en classe. Une grande partie de la bibliothèque est utilisée pour des salles de classe. Nous ne pouvons plus y aller avec nos groupes. C’est pourquoi il est important d’avoir un coin aménagé pour la lecture dans nos classes.
Depuis quelques années, ma bibliothèque de classe est alimentée seulement par la subvention pour achat de livres. Cette année, avec les coupures, cette subvention n’existe plus. Je n’achèterai pas avec mon argent, car je crois que de le faire encourage le sous- financement en éducation. Comme je refuse de payer pour quoi que ce soit dans ma classe… et crois-moi, la lecture est mon cheval de bataille, mais pas à mes frais!
Merci à toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre! Et vous, quelle est votre opinion sur le sujet?