Eux, Nous, Lui

Patrick Isabelle, Éditions Leméac, Montréal, 2014, 107 pages.
Plongeons dans le récit d’intimidation d’un adolescent à bout de souffle, à bout de patience, à bout d’amour pour lui-même, à bout de tout. Plongeons dans ses pensées, dans son univers, dans son mal-être. Voyons les intimidateurs avec ses yeux à lui, comprenons sa fatigue avec son cœur meurtri. Comprenons surtout pourquoi il en est venu à emporter un fusil à l’école.
Patrick Isabelle nous écrit ici une histoire littéralement coup de poing. Depuis la perspective du narrateur, on est témoin du fléau qu’est l’intimidation, des ravages qu’elle fait sur une personne.
Le récit débute par le dénouement, soit la fusillade. Petit à petit, on recule dans le déroulement de cette fusillade, mais on avance dans le l’intimidation vécue par le protagoniste. Parallèlement, se croisent le désespoir du narrateur et sa rage face à son sentiment d’impuissance. Malgré la fin/début plutôt tragique, on ne peut rester insensible face au personnage principal. Son mal vient nous chercher jusqu’à l’intérieur, sa haine pour ses agresseurs nous prend en plein cœur et nous pousse à les détester nous aussi.
Eux est une œuvre qui devrait passer entre les mains de tous les jeunes. L’intimidation est encore beaucoup trop présente dans notre société, plus particulièrement avec l’avènement des réseaux sociaux et la montée de la cyberintimidation. Personne n’est à l’abri.
Pistes de discussion
Parents et enseignants, je vous encourage à découvrir cette œuvre, et surtout à la partager avec les ados. Le langage cru, les scènes tragiques et le sujet d’actualité mènent à la discussion. Dans le document disponible au bas de l’article, je vous propose des pistes de discussion après certains moments-clés. En espérant que la découverte de cette œuvre et la discussion qui suivra vous permettront de supprimer le tabou qui entoure l’intimidation.
« Vous avez fait de moi un monstre, un monstre furieux et meurtrier, incapable de ressentir la moindre émotion. Vous avez pris toute la laideur du monde et vous me l’avez imposée, vous m’en avez gavé. Vous m’avez dépossédé de mon adolescence, de ma vie, du bonheur, et comme des vampires, vous vous êtes abreuvés de mon âme sans vous poser de questions. » (Eux, p.107)
Nous

Patrick Isabelle, Éditions Leméac, Montréal, 2016, 116 pages.
On retrouve ici le protagoniste du roman Eux, l’adolescent intimidé à l’école. Le récit se déroule après la fusillade qu’il a commise, donc nous le suivons en centre jeunesse. Le narrateur nous partage sa rage contre ceux qui ne comprennent pas les adolescents délinquants. L’enfermement fera revenir chez lui la colère qui l’habitait, mais il découvrira tout de même des adultes qui sont prêts à l’aider.
À mon avis, l’auteur a ici réussi à atteindre un sommet égal à son roman précédent, Eux. L’écriture y est toujours aussi poignante, les réflexions du protagoniste viennent nous chercher et nous poussent à nous, adultes, questionner sur l’aide parfois maladroite qu’on tente d’apporter à ces jeunes toujours en quête d’eux-mêmes, en quête de réponses sur la vie. Le personnage du psychologue a été dépeint de manière à ce que je sois moi-même frustrée contre lui, contre ses mots toujours trop grands, trop philosophiques pour un jeune qui a peine à mettre ses propres mots sur son crime.
Bien que le protagoniste ait tué quelqu’un, il est différent des autres jeunes du centre par son acharnement dans ses études, sa solitude et par les motifs de son crime. Malgré tout, il s’inclut dans le « nous », qui correspond à ces délinquants, ces enfermés, ces « oubliés », ces « numéros » (p.48). Même si une vie différente l’attend à l’extérieur de ces murs, une vie peut-être plus libre, il n’est, pour l’instant, qu’un délinquant comme les autres.
J’ai adoré Nous comme j’ai adoré Eux. Patrick Isabelle sait nous faire réfléchir sans nous enfoncer une morale dans la tête. On ne peut sortir de cette lecture sans avoir réfléchi, sans avoir envie de la partager. Alors je vous la partage : lisez Eux si ce n’est pas déjà fait et lisez Nous par la suite. Que vous soyez adulte ou ado, c’est une lecture nécessaire.
« Je me suis transformé, dédoublé. Et j’ai brisé le silence. Après avoir retrouvé la parole, je leur ai balancé ma noirceur au visage. Ils cherchaient à comprendre, alors je leur ai servi ma psychose sur un plateau d’argent, assumant mon crime comme une fierté. Je n’avais plus rien à perdre, de toute manière. J’ai embrassé mon côté obscur et je l’ai plaqué sur mon visage. Je suis devenu celui qu’ils voulaient que je sois. » (Nous, p.10)
Lui

Patrick Isabelle, Leméac éditeur, Montréal, 2017, 143 pages.
Maintenant qu’il a purgé sa peine en centre jeunesse pour avoir ouvert le feu dans son école secondaire, il est libéré. La population est divisée face à cette nouvelle : certains sont heureux de le voir sortir alors que d’autres voient plutôt cette nouvelle comme une injustice. Pour eux, c’est un criminel et rien d’autre. Cette liberté, il ne la mérite pas.
« Lui. Celui qui n’appartient à personne. À nulle part. Un papillon errant qui avance contre le vent, qui ne se doute pas que le battement de ses ailes fait naître une tempête. » (Lui, p.9)
Cette fois, on suit également d’autres personnages, qui ont un lien de près ou de loin avec la fusillade qui a eu lieu dans le premier tome, Eux. Chacun voit la sortie du protagoniste d’une manière différente, et c’est ce qui est intéressant
J’ai adoré le roman autant que le premier. Les points de vue donnent un ton différent à l’œuvre et rendent sa lecture très particulière. L’auteur ne nous présente pas une histoire avec une chronologie, mais bien un ensemble de petites histoires ayant un fil conducteur : la fusillade. Comment vivent ces différentes personnes maintenant que Lui est sorti? Est-ce que sa liberté est méritée? Les nombreuses visions nous permettent d’aborder la discussion et de réaliser qu’on a tous une opinion différente par rapport à la situation.
Bien entendu, le protagoniste est un peu plus présent que les autres. Après tout, c’est SA sortie qui nous est racontée. Lui aussi vit sa sortie à sa façon. Les autres ne le laisseront pas tranquille non plus. Il gravite donc autour de lui des personnages heureux, mais aussi en colère de voir qu’il est de retour parmi Eux. Il y a également la présence d’une autre figure importante qui créera tout un émoi, particulièrement chez le lecteur qui a accès à ses pensées. Certains le détesteront, alors que d’autres le comprendront.
Je ne pourrais conclure cet article en passant la fin sous silence. Encore une fois, un dénouement coup de poing qui vient nous chercher au plus profond de nos tripes. Même si Patrick Isabelle a su me donner des frissons tout au long du roman avec les retours dans le passé, la chute nous laisse bouche bée. En plus, elle n’est pas explicite. On nous laisse un peu en suspens, avec notre propre interprétation. Encore une fois, cela laisse place à la discussion.