Je voudrais qu’on m’efface

Anaïs Barbeau-Lavalette, 2010, Québec, Éditions Hurtubise, 145 pages.
Roxane, Kevin et Mélissa habitent Hochelaga-Maisonneuve. C’est dans un bloc comme les autres qu’ils vivent une vie pas comme les autres. Ces trois jeunes font partie d’une classe spéciale. Ils se traient eux-mêmes « d’orthos » et de tous les noms qui viennent avec celui-ci. Malgré leurs problématiques semblables, ces jeunes de 12 ans se croisent sans même s’adresser plus qu’un salut. Pourquoi s’attarder à entretenir une amitié avec une personne qui ne pourra jamais nous aider, vu le degré de merde qui pend au bout de son nez?
Chez les trois protagonistes, la vie de famille n’est pas des plus jojos. Roxane doit rester avec sa mère alcoolique et son nouveau copain violent, pendant que son père guérit sa toxicomanie. Mélissa, quant à elle, ne peut plus voir sa mère, puisque celle-ci se prostitue au coin de la rue. Elle doit donc dire adieu à son enfance pour s’occuper adéquatement de ses petits frères dans un appartement sans supervision parentale. Kevin, finalement, rêve de devenir un héros de lutte, comme son père. Malgré ce rêve commun qu’ils chérissent, leur relation père-fils n’est pas de tout repos.
Il est impossible de ne pas s’attacher à la vie de ces trois enfants. Chaque page nous donne envie de leur donner l’affection et la chaleur qu’ils ne reçoivent pas en ce temps hivernal. Anaïs Barbeau-Lavalette sait nous camper dans leur misère en insistant sur ce froid glacial qui pèse autant sur le quartier que sur le cœur de chaque personnage.
Le registre familier employé m’a, à quelques reprises, dérangée, mais en plongeant dans le récit, on voit combien il est nécessaire de lire leurs mots pour mieux comprendre leurs maux. Quoiqu’on ne pourra jamais réellement les comprendre… On ne peut qu’éprouver une énorme dose d’empathie.
C’est triste de voir une telle réalité. De savoir qu’elle est juste à côté de nous, qu’elle nous côtoie, mais qu’on la laisse passer. Les « autres » ne sont pas décrits. Tout simplement parce qu’ils gravitent autour de ces personnages, ils laissent leur vie continuer. Parce que c’est ce que la majorité des gens font.
Je voudrais qu’on m’efface est une œuvre de littérature jeunesse. Et malgré sa thématique difficile bien que réelle et son registre familier, elle est nécessaire et très bien adaptée à son public.
Pour vous plonger dans ce quartier froid d’Hochelaga-Maisonneuve et encourager les librairies indépendantes du Québec, c’est ici.
« [Mélissa] passe par le chemin des putes. Ralentit le pas en face d’elles. Attrape le regard de sa mère.
Les chars filent entre elles, comme pour rappeler l’espace qui les sépare. Les cinquante mètres qui les arrachent l’une à l’autre. Quand une voiture passe, Mélissa plisse les yeux et aiguise le regard pour attraper tous les p’tits bouts d’sa mère qui restent attrapables. » (Je voudrais qu’on m’efface, p.80)