L’achat de matériel par les enseignant.e.s : un problème de société?

Avec l’excitation de la rentrée scolaire vient son lot de dépenses, non seulement pour les parents, mais aussi pour les enseignant.e.s. Que ce soit des livres pour garnir sa bibliothèque de classe, du mobilier pour rendre son local plus confortable et accueillant, du matériel pour les élèves plus démunis, des mouchoirs pour les grippes saisonnières, les factures peuvent s’accumuler assez rapidement. C’est un sujet chaud dans le domaine, et les avis sont partagés. Avec la participation de 153 enseignant.e.s du Québec, je vous propose cette réflexion sur l’achat du matériel scolaire par les profs.
Est-ce réel?
Tout d’abord, il peut être pertinent de se demander, lorsqu’on n’est pas dans le domaine, s’il s’agit d’une réalité ou d’une simple généralisation. Bien que mon échantillonnage ne représente pas l’ensemble des enseignant.e.s de la province, 79,7 % des répondant.e.s ont affirmé utiliser leur argent, chaque année, pour leur classe et leurs élèves. C’est une minorité (4,6 %) qui a répondu ne jamais dépenser.
La dépense qui revient le plus souvent est le matériel, soit ce que les parents doivent fournir à leur enfant en début d’année (crayons, gommes à effacer, stylo, etc.). Viennent ensuite les livres, qu’on veut tous et toutes pour garnir notre bibliothèque de classe et valoriser la lecture. Comme le mentionne souvent Yves Nadon, ancien enseignant au primaire, on ne s’imaginerait pas dans un gymnase sans ballon, alors pourquoi est-il normal de voir une classe sans livres? Puis, viennent les mouchoirs. Avec la nouvelle interdiction de demander aux parents de les fournir, de plus en plus d’enseignant.e.s les fournissent à leurs élèves. Et Dieu sait qu’une boite passe assez rapidement en temps de rhume! En quatrième position vient le mobilier de classe (chaises, tables, bibliothèques, chariots, décoration, etc.). 81 répondants sur 153 en ont assumé les couts (moi la première, m’étant procuré un chariot pour ma bibliothèque de classe mobile!). Même si certains de ces achats sont usagés, on peut imaginer que le total de la facture grimpe assez rapidement.
Qu’en pensent les enseignant.e.s?
Même si près de 80 % des répondant.e.s affirment acheter du matériel de leurs poches chaque année, 91,5 % d’entre eux considèrent que ce n’est pas normal. L’argument qui revient le plus souvent fait la comparaison avec la profession d’infirmière :
« Je n’ai jamais vu un autre corps d’emploi payer pour son matériel. Avez-vous déjà vu une infirmière payer pour des seringues? »
Selon plusieurs répondant.e.s, ce devrait être aux commissions scolaires ou aux écoles elles-mêmes de payer pour tous ces éléments, étant donné qu’il s’agit de matériel soit nécessaire à l’emploi, soit pour les élèves. D’autres soulèvent qu’il n’est pas normal qu’on manque ainsi de budget dans nos écoles. C’est d’ailleurs pourquoi certain.e.s se sentent obligés de pallier pour ce manque de budget et de matériel. Certaines classes désuètes nécessitent d’être remises au gout du jour, mais ce ne sont pas toutes les écoles qui ont la possibilité de faire ces dépenses.
« Le bien-être et l’apprentissage des enfants, c’est un projet de société, ça ne devrait pas reposer sur les épaules des enseignants! »
Pour d’autres enseignant.e.s (8,5 %), il est normal de dépenser pour sa classe, notamment lorsque ces dépenses servent à gâter les élèves (bonbons, cadeaux, etc.) ou à satisfaire ses envies. Au final, l’enseignant.e, comme ses élèves, passe beaucoup de temps dans sa classe.
« Dans une certaine mesure, il s’agit d’un choix personnel. Pour moi, il est normal de bonifier la classe en faisant ces achats. De plus, je suis moins restreinte dans le choix du fournisseur que si je passais par les bons de commande. Par contre, pour les mouchoirs, je crois que l’école devrait avoir la capacité d’en fournir. »
Ces éléments soulèvent une autre problématique importante : l’égalité.
« L’école devrait offrir la même chance à tous les élèves. Il n’est pas normal selon moi que certains élèves soient dans une classe et qu’ils n’aient pas accès au même matériel que dans l’autre classe. Et ce, seulement parce que l’enseignante d’une classe investit son argent personnel dans l’achat de matériel! »
La solution?
Même si pour une majorité d’enseignant.e.s il est anormal de sortir des sous de sa poche pour son travail, 76,5 % considèrent qu’on ne devrait pas empêcher les enseignant.e.s de faire ces dépenses, et ce principalement pour des questions de liberté personnelle et d’autonomie. Il est plus facile de travailler avec du matériel avec lequel on est à l’aise, de même qu’il est avantageux de pouvoir reprendre son matériel à la fin de l’année. Il y a également la question de besoin, considérant les maigres budgets et les délais d’attente. S’abstenir en viendrait également à priver les élèves, alors qu’ils restent notre priorité.
« Avec les budgets actuels si les enseignants ne déboursent rien… On oublie les belles classes, le travail en littérature jeunesse, plusieurs projets, etc. En tant que passionné, l’interdiction brimerait aussi mon côté créatif. »
De l’autre côté, ceux et celles qui votent pour l’interdiction (23,5 %) le justifient en soulevant les carences dans le domaine de l’éducation au Québec et l’importance de les montrer au grand public pour que le problème se règle enfin.
« Plus on défraie plus on reste pris dans l’engrenage du sous-financement. »
Finalement, ce qui ressort le plus est que le financement en éducation au Québec est une problématique importante. Cela crée des inégalités chez les enfants, qui n’ont pas accès aux mêmes ressources, mais aussi chez les enseignant.e.s. En effet, 65,4 % des répondant.e.s sont au primaire/préscolaire. Les dépenses sont généralement nettement plus considérables de leur côté puisque l’enseignement de plus d’une matière nécessite des dépenses diverses. Sachant que le financement en éducation semble être une problématique éternelle, de quelle façon pourrions-nous nous assurer que chaque élève ait accès au plus de ressources et que chaque enseignant.e ressorte gagnant?