Lettre à l’enseignante qui ne veut pas faire partie des statistiques

Chère enseignante*,
Tout au long de ton parcours universitaire et depuis que tu as commencé à enseigner, tu entends toujours parler des fameuses statistiques qui disent qu’environ 25 % des jeunes enseignant.e.s quittent la profession après les cinq premières années. Toi, par contre, tu ne veux pas faire partie de ces statistiques. Tu veux faire partie des 75 %, car tu sais que tu es passionnée.
Dernièrement, la fatigue t’a assénée de tout son poids. Tu as dû t’absenter deux journées, ce que tu n’avais encore jamais fait. Durant ces deux journées, une petite voix dans ta tête te disait que tu prenais du retard dans ta planification et dans ta correction. Cette petite voix te faisait sentir coupable de ne pas ouvrir tes livres et ton agenda, alors que normalement, tu les ouvres tous les jours à la maison. Quand tu ouvrais Instagram, tu voyais ces enseignant.e.s passionné.e.s qui créaient mille et un documents, partageaient leur quotidien et se surpassaient les uns les autres.
Durant ces deux journées de congé presque forcé, tu as dormi. Ton lit t’a tirée jusqu’à ce que tu ne puisses plus te lever. Tu as été obligée de rester couchée, de dormir pendant des heures alors que tu savais très bien que ton petit hamster n’attendait que ton réveil pour continuer de vouloir créer.
À la suite de ces deux journées, chère enseignante passionnée, tu as compris quelle était la source de ta fatigue : ton acharnement à toujours vouloir en faire plus, à ne pas compter tes heures à l’extérieur, à créer matériel par-dessus matériel lorsque tu rentrais chez toi le soir. Tu voyais tous ces comptes Instagram colorés, tu étais inspirée, tu ne pouvais plus arrêter. Ta tête refusait que tu relaxes devant la télévision. Dès que tu franchissais ta porte d’entrée, tu étais attirée vers ton bureau, ce lieu où tu étais à l’aise et performante.
Puis, ton corps a flanché. Il t’a fait comprendre que c’était trop. Que tu ne pourrais pas continuer comme ça. Que si tu ne te mettais pas des limites, tu appuierais les statistiques. Pourtant, ce n’est pas ce que tu veux. Tu l’aimes, ta profession. Tu les aimes, tes élèves. Tu veux toujours en faire plus pour eux. C’est correct. Seulement, et seulement si tu acceptes d’en faire plus pour toi avant. Chère enseignante passionnée, tu en fais assez, rappelle-t’en, car c’est dommage de perdre des amoureuses du métier comme toi.
Quelques informations sur la profession…
Lorsqu’un.e enseignant.e est à 100 % de tâche, il.elle est payé.e pour 32 heures de travail par semaine. Les heures mises sur la correction, la planification et la création de documents à l’extérieur de cet horaire sont bénévoles.
Les enseignant.e.s en début de carrière n’ont pas tous et toutes la chance d’être à 100 %. Ils.Elles commencent donc avec de plus petits pourcentages, ce qui signifie qu’ils.elles sont payé.e.s moins de 32 heures par semaine. Toutefois, quand on commence dans la profession, bien que plusieurs collègues généreux.ses partagent leur matériel, il faut en créer beaucoup aussi.
Pendant les heures de cours, il nous arrive d’avoir des périodes « libres ». J’utiliserais ici de très gros guillemets. Ces périodes servent, oui à planifier, corriger et créer, mais aussi à gérer des cas d’élèves en contactant leurs parents, en rencontrant des intervenants ou la direction. Elles servent aussi à nettoyer notre bureau sur lequel s’empilent parfois trop de feuilles, notre classe dans laquelle les élèves ont parfois mis le bordel. Puis, il y a les tâches connexes, comme les comités auxquels nous devons nous inscrire. À la fin d’une journée, il reste donc encore bien souvent des éléments sur notre to-do list.
Mon but ici n’est pas de me plaindre. C’est de partager ma réalité avec ceux et celles qui la connaissent moins. Je ne m’attends pas à recevoir votre pitié. J’aime ma profession, je suis passionnée par celle-ci. Je ne suis qu’en début de carrière. Il me manque probablement bien des connaissances sur le milieu, mais j’ai eu la (mal)chance de déjà expérimenter un semblant d’épuisement (je dis semblant, car rien n’a été diagnostiqué et il n’a pas duré. Juste assez pour me faire peur.). Je ne veux plus en faire trop au point de me bruler. Est-ce que cela signifie que j’arrêterai de créer du matériel? De lire plein de livres que je voudrai partager avec mes élèves? Que je leur offrirai des rétroactions moins complètes? Que je serai moins organisée? Non, bien entendu. Toutefois, je choisirai mes batailles, je m’organiserai autrement, j’accepterai de ne pas toujours être parfaite, de ne pas exagérer, de lâcher prise et de prendre soin de moi avant tout.
* Le féminin est utilisé ici, car la lettre s’adresse à une enseignante en particulier
Un très bel article… on sent la passion et la douleur derrière tes mots et je te souhaite de passer de belles années auprès de tes élèves, en forme et toujours aussi amoureuse de ce métier !
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Merci! 🙂
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J’aurais pu écrire cet article tellement je ressens la même chose… Je suis une jeune enseignante de 27 ans qui ne comptait pas ses heures lorsque je souhaitais créer des situations d’apprentissage intéressantes pour les élèves. Par contre, avec trois enfants à la maison, je ne pouvais malheureusement plus me permettre ça, la lourdeur de la tâche étant déjà trop grande avec la planification de cours pour différents niveaux et la montagne de correction. Je n’avais plus de temps pour mes enfants! Aujourdhui, je suis enceinte du 4e et je suis en arrêt de travail. Mon corps et ma tête ont flanché, car malgré tout, j’en faisais toujours plus que nécessaire pour créer des cours motivants pour les élèves. Cet arrêt de travail, je l’ai vécu comme un échec, car je ne voulais pas non plus faire partie des statistiques. C’était presque comme une honte pour moi. Toutefois, j’ai appris à voir cela comme une leçon de vie. Lorsque je retournerai travailler après mon congé de maternité, mon mot d’ordre sera l’équilibre. En espérant que cela fonctionne!
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Merci pour ce partage! J’espère aussi que tu trouveras cet équilibre lors de ton retour! Quand on est passionnées, on dirait que cela va de soi, que c’est la normalité d’en faire plus. Je comprends ta honte, c’est ce que j’ai ressenti aussi.
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