La bande dessinée, cet art complexe

À sa naissance, la bande dessinée était un art publié dans les journaux. Les possibilités étaient donc restreintes : l’absence de couleurs était de mise, l’espace était très limité et on évitait tout sujet controversé. La bande dessinée, publiée quotidiennement, s’ancrait dans la réalité en plus d’être réalisée rapidement.

Le but de la bédé, à l’époque, étant principalement de faire des ventes, les techniques étaient limitées, de même que le temps. Alors que des bédéistes se laissent porter par cette vague et publient, dans les quotidiens, des planches plutôt stables et bourrées de stéréotypes, d’autres profitent de ces contraintes pour développer une certaine créativité. Ce n’est qu’en 1965 que la bande dessinée retrouve une certaine liberté alors qu’elle se voit publiée dans des revues plus marginales. Au même moment, elle rejoint un public plus vieux en Europe, se voyant donc abordée dans les revues et les universités, en plus d’être consacrée par certains prix.

La bande dessinée trouve notamment sa place dans la revue Charlie Hebdo. (Photo by Gerard Bottino/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

On entre alors dans une période de contestation où le comix se taille une place pour dénoncer les cadres dans lesquels sont pris les comics (bande dessinée américaine). Nait aussi le fanzine, spécialisé dans certains domaines, dont la bande dessinée. Celle-ci peut donc s’émanciper, gagner de la reconnaissance et s’éloigner de son support qu’est le journal et la revue.

Un art plus complexe qu’on ne le croit

La bande dessinée ayant, à l’origine, un public plutôt populaire, la tendance semble être restée qu’elle s’adresse au petit peuple, aux enfants. Pourtant, il s’agit d’un art complexe, alliant l’image et le texte. Lire une bande dessinée suppose de faire la lecture, oui du texte, mais aussi de l’image (et de l’absence de celle-ci). Tout ne peut être écrit, comme tout ne peut être dessiné. Se trouvent donc des informations dans l’image, qu’on ne retrouvera pas dans le texte, et vice-versa. Entre deux cases se retrouvent aussi des informations que le.la lecteur.trice doit inférer.

Si on se penche un peu plus sur cette réflexion, on comprend aussi que la bande dessinée fait se mélanger les systèmes textuel et pictural. Par exemple, lire une bande dessinée (même si ce ne sont que ses images), demande de faire une lecture linéaire, tout comme on lirait un texte. À l’inverse, le texte emprunte au système pictural lorsque la typographie choisie cherche à donner une certaine sonorité au texte.

Concentrons-nous sur l’image

On pourrait lire une bande dessinée sans s’attarder aux illustrations, mais combien d’informations seraient manquantes! Alors que la psychologie du personnage se trouve plus souvent dans ses paroles, sa description physique et sociale se trouvera dans les images. C’est aussi par celles-ci qu’on peut parfois remarquer un changement de statut, un changement d’univers. L’absence d’un élément peut parfois prendre de l’importance. Pourquoi omettre de montrer certains objets? De flouter une scène? De l’éloigner de l’œil du lectorat?

Quelques bandes dessinées à lire pour les images

Si vous avez un intérêt pour cette lecture de l’image, pour cette qualité détaillée, je vous suggère de découvrir le dyptique (dont le 2e tome n’est pas encore paru) Dans la tête de Sherlock Holmes par Cyril Lieron et Benoit Dahan, qui se démarque par ses détails accordés aux illustrations, et le dyptique Bootblack par Mikael, qui fait sa marque par sa capacité à jouer avec les ombres, à créer un univers envahi par la noirceur. Pour ses dessins époustouflants, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres par Emil Ferris vaut le détour. Je n’ai personnellement pas embarqué dans l’histoire, mais le travail de l’image est à couper le souffle.

Concentrons-nous sur la psychologie

Alors que la bande dessinée se voit souvent entrainée par des actions spectaculaires, il arrive que certaines soient plus concentrées sur la psychologie des personnages. On tiendra donc un décor plus minimaliste, des illustrations plus discrètes, moins enrobées de flaflas. Cela dit, encore une fois, la lecture de l’image sera nécessaire pour bien comprendre toutes les subtilités de l’évolution!

Quelques bandes dessinées à lire pour les émotions

Dans La grosse laide, Marie-Noëlle Hébert trace l’évolution de sa déchéance vers une estime d’elle-même brisée par les commentaires désobligeants. À travers les illustrations très sobres et réalistes, on peut observer sa peine sur les traits de son visage. Je vous suggère aussi Burquette de Francis Desharnais, une bédé dans laquelle les phylactères de pensée prennent une grande place. Puis, la récente adaptation de la pièce de Larry Tremblay, Le garçon au visage disparu, une œuvre riche en émotions illustrée par Pierre Lecrenier dans laquelle se démystifie un personnage à travers son absence de visage, mais aussi à travers l’incommunicabilité à laquelle doit se buter sa mère qui cherche de l’aide.

Concentrons-nous sur le contenu

La bande dessinée peut aussi être un art de référence. Une œuvre qu’on lit pour s’informer sur différents sujets. Alors que les informations données peuvent être totalement vraies, d’autres bédés ajouteront à ces contextes réels des personnages de leur cru, des situations vraisemblables, mais non fondées, ou même des anachronismes. Ces derniers seront d’ailleurs remarqués par le lectorat observateur, qui lit le texte ET les images, en plus de posséder quelques connaissances de base.

Quelques bandes dessinées à lire pour s’informer

La première qui me vient en tête est assurément la série Les enfants de la résistance par Dugomier et Benoit Ers. Prenant place dans le contexte réel de la Seconde Guerre mondiale, la bédé nous en apprend plus sur la résistance française par des personnages (inventés) d’enfants. Toujours sur la Seconde Guerre mondiale, l’adaptation du Journal d’Anne Frank par Ari Folman et David Polonski est sans aucun doute ma version préférée! En plus d’être magnifique, elle comprend des pages de texte complet, nous permettant ainsi d’avoir accès à une adaptation très fidèle de l’œuvre, et de l’histoire réelle de la jeune Anne Frank.

Pour en apprendre plus sur les femmes, la BD documentaire Histoire(s) de femmes par Marta Breen et Jenny Jordahl résume bien la lutte pour leur liberté et leurs droits sur 150 ans (sans toutefois faire pas un portrait mondial). Je vous suggère aussi la bande dessinée de Pénélope Bagieu, Culottées, qui présente des portraits de femmes qui ont mis leur pied à terre.

Puis, au Québec, on retrouve aussi de belles bandes dessinées pour se documenter, dont la très riche œuvre Vous avez détruit la beauté du monde, par Isabelle Perreault, André Cellard, Patrice Corriveau et Christian Quesnel, qui présente les résultats d’une étude sur le dernier acte avant un suicide. Une BD riche en informations! Plus légère, Simone Simoneau de Valérie Plante et Delphie Côté-Lacroix se veut être la chronique d’une femme (largement inspirée de l’autrice elle-même) dans une course à la politique. Une bande dessinée basée sur des faits réels, parsemée de faits inventés, mais vraisemblables. Puis, toujours dans la légèreté, La Petite Russie par Francis Desharnais nous présente le récit d’un petit village en Abitibi, inspiré de la vie des grands-parents du bédéiste.

L’animal : un personnage privilégié

L’animal est souvent préconisé dans l’album pour enfants. Il s’avère cependant être un personnage intéressant dans la bande dessinée – et pas que pour enfants! En effet, l’animal a l’avantage de pouvoir être nu pudiquement, d’être gourmand et cupide sans pécher. L’anthropomorphisation permet de pousser certaines caractéristiques de l’humain à son paroxysme, d’insister sur certains caractères que possèdent les animaux.

Quelques suggestions de bandes dessinées avec des protagonistes animaux

La plus connue (et la plus intéressante à mon avis!) est Maus par Art Spiegelman. Dans cette bande dessinée prenant place dans les années 30 et 70, les protagonistes, rescapés juifs des camps nazis, sont des souris, alors que les Nazis sont des chats. Une façon très intéressante d’illustrer la chasse dont étaient victimes les Juifs. Plus humoristique, Les laborats de Vallerand met en scène des rats de laboratoire qui sont, non pas cobayes, mais scientifiques! À la manière de chroniques scientifiques, ils nous en apprennent plus sur divers sujets. Puis, dans Ramures de Bellebrute, on retrouve un protagoniste (et des personnages secondaires et figurants) aux caractéristiques physiques animales. Arraché à sa vie, il tente de retrouver l’équilibre par la nature, par les racines de l’amour. Une bande dessinée qu’on lit plus d’une fois pour en apprécier la poésie.

Et le roman graphique?

Considérant l’ambigüité derrière l’utilisation de ce terme, j’ai fait quelques recherches afin de voir ce qui distinguait le roman graphique de la bande dessinée. De prime abord, le graphic novel est un terme qui a été inventé pour légitimiser la bande dessinée. Alors que celle-ci semblait plus associée aux enfants ou à un public moins intellectuel, on a inventé l’étiquette roman graphique afin de créer une rupture avec la bédé, vue comme étant plus légère. Toute BD abordant un sujet plus adulte, s’étendant sur un plus grand nombre de pages était donc considéré comme un roman graphique. L’étiquette vaut-elle vraiment la peine aujourd’hui lorsqu’on sait que la bédé est plus qu’un comicstrip? Je vous laisse y réfléchir!

Un petit défi pour 2021?

Je vous propose d’embarquer avec moi cette année et de découvrir la bande dessinée, à raison d’une par mois. Je vous propose les catégories suivantes espérant vous permettre de découvrir différents genres. Pour connaitre mon choix de BD chaque mois, suivez-moi sur Instagram! N’hésitez pas à m’identifier dans vos choix également! Je vous invite à consulter ma page Bandes dessinées pour avoir la liste des BD que j’ai présentées sur ma page.

Source des informations

La rédaction de cet article a été possible grâce aux connaissances que j’ai acquises dans mon cours Bande dessinée et figuration narrative donné à la TÉLUQ, par monsieur Paul Bleton.

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